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Granite Falls, mars 1796



Dieu lui vienne en aide…

La pointe d’une baïonnette avait entamé son flanc. La douleur avait irradié vers sa poitrine jusqu’à ce que l’élancement fasse place à l’engourdissement des sens. C’est alors qu’il avait su que l’âme avait été plus atteinte que la chair. A travers le crachin, son regard noyé de pluie et de larmes s’était évertué à chercher aux racines du ciel le réconfort et la rédemption des derniers instants.

   Jamais il n’aurait dû laisser donner l’assaut. L’ennemi était bien plus déterminé qu’il n’y paraissait et la cause bien moins défendable qu’on avait voulu lui faire croire. Mais un ordre est un ordre, un soldat reste un soldat. En quel nom aurait-il pu défier l’autorité de sa hiérarchie ? Qui était-il pour décider du bien-fondé d’une offensive ?

   Il avait pressenti la débâcle pourtant.

Les hommes étaient épuisés. Depuis des jours, ils marchaient sous une pluie battante, leurs armes leur servant de béquilles pour s’extraire de la fange des champs traversés. Il avait dû lui-même mettre pied à terre à maintes reprises pour ménager sa monture. Les tuniques trempées étaient devenues lourdes sur les épaules affaiblies. Les bas de laine collaient aux muscles douloureux. Les visages étaient las. Les estomacs vides. Et lorsque l’ennemi avait enfin été localisé, ses hommes avaient puisé dans leurs dernières réserves pour s’apprêter à l’assaut prévu aux premières lueurs du jour.

   Au coeur de la nuit, il avait rejoint le Colonel sous sa tente de fortune pour lui faire part de ses craintes. Un éclaireur était venu lui rapporter d’inquiétantes nouvelles. De l’autre côté de la colline, les hommes étaient nombreux, prêts à défendre leur terre. Une terre qu’ils avaient fait prospérer et que désormais la Couronne revendiquait comme sienne. « Mon Colonel, j’apprends à l’instant que l’ennemi est bien armé et déterminé à défendre sa position. Je crains que… »

   Mais le Colonel n’avait pas partagé ses craintes. L’assaut serait donné, quoi qu’il en coûte. Et il le fut.

  Puis il y avait eu le silence après la fureur des détonations et des cris. Un silence assourdissant, terrifiant. Un silence envahi d’images effroyables de corps mutilés, de grimaces pathétiques, de larmes versées que nul déluge ne saurait jamais effacer. Bon nombre de ses hommes avaient péri avant qu’il ne soit lui-même terrassé.

  Mais pourquoi ? Pour qui ?

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