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Granite Falls, mars 1875



  La forêt empestait l’Homme, si bien qu’elle ne savait plus où donner du museau. Le nez plongé dans la mousse humide, elle renifla en plusieurs endroits les relents de sueur. Mais la piste était confuse. Une bise légère faisait tourbillonner les effluves entre les troncs des résineux et les faisait dériver vers d’improbables passages.

  Un grognement de frustration lui échappa, suivi d’un coup de griffes impatient qui défigura une bordure de fougères. Elle ne pouvait pas les laisser lui échapper.

  Déterminée à retrouver leur trace, elle laissa retomber lourdement ses pattes avant sur le sol encore gelé et, le dos rond, reprit des naseaux ses recherches le long des racines noueuses. Sans relâche, pas après pas, elle flaira la moindre touffe d’herbe, la moindre écorce, à l’affût d’une odeur reconnaissable entre toutes. Son odeur.

  Sa persévérance paya. Après bien des hésitations, elle parvint enfin à déceler l’empreinte animale parmi les puanteurs humaines. Tous les sens en alerte, elle fit pivoter la masse de son corps et tendit davantage le cou pour humer l’air plus profondément. Devant elle, une bande d’herbes piétinées confirma la piste à suivre et, de peur de perdre la trace, elle s’élança aussitôt à travers le sous-bois.

  Alors que son souffle se faisait plus caverneux au fil du chemin parcouru, elle commença à distinguer des éclats de voix entrecoupés de rires. L’Homme est un être trop confiant. Ridiculement assuré de sa toute-puissance. Il allait lui en coûter, foi d’animal.

  Elle s’apprêtait à allonger encore la foulée lorsqu’une lamentation sinistre résonna dans toute la futaie et lui déchira la poitrine, l’arrêtant net dans son élan. Son petit… son pauvre petit… seul, arraché sauvagement aux siens, terrifié par des brutes indignes… son petit… son tout petit…

  Submergée par une rage aussi féroce qu’incontrôlable, elle se redressa soudain de toute sa hauteur sur ses pattes arrière et, gueule béante, hurla longuement sa colère à pleins poumons.

  Aussitôt, au loin, les voix se turent et le fumet des hommes se fit plus prégnant. Désormais, l’air était saturé d’un relent de peur qui excita sa soif de vengeance. Les babines retroussées, elle dédaigna le cliquetis métallique des armes agitées et s’engouffra dans le sous-bois, bien résolue à arracher son petit des griffes humaines.

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