top of page

Oasis Spring, avril 1987




   On ne me regarde pas. Enfin, si. À la dérobée. Mais on détourne vite le regard quand on croise le mien. J'ai l'habitude. Je ne m'en formalise plus, ou du moins, j'ai réussi à m'en convaincre.

   Avant, on me tapait sur l'épaule d'une bourrade virile en riant à gorge déployée. Aujourd'hui, les sourires sont distants et gênés. Ou alors ils ne s'adressent pas à moi. Et je déteste surprendre ces sourires-là.

J'ai cru qu'on m'accepterait pour qui je suis. J'ai voulu y croire et j'ai déchanté. Tant pis, il est trop tard pour regretter. Je suis telle que je voulais qu'on me voit enfin. Telle que je me voyais dans le secret de mes nuits après avoir feint d'être un autre pendant tout le jour.

  Les premiers temps, je me suis demandée si ça n'était pas une erreur de me dévoiler... mais non, je ne suis pas une erreur, je suis moi. Je suis celle que je regarde dans mon miroir le matin, je ne veux plus être cet autre qu'on voudrait que je sois. C'était lui l'erreur, pas moi.

   Ça les dérange ? Tant pis pour eux. Tant pis pour moi. Mais je ne me renierai pas. Au fil du temps, j'ai apprivoisé ma solitude. J'ai appris à composer avec la défiance. Je me suis même surprise à la soutenir du regard. Je m'en amuse, parfois.

   Aujourd'hui plus que jamais, je sais que je peux être heureuse malgré les autres. Et depuis ce soir, je sais qu'un jour je pourrai être heureuse avec les autres. Parce qu'il aura suffi d'un sourire. Un qui s'adressait vraiment à moi. Un sourire que j'ai rendu au centuple à la jeune femme qui me dévisageait du fond de la salle sans afficher la répugnance que d'autres ne parvenaient plus à dissimuler depuis longtemps.

   En quittant le bar avec ses amis, elle s'est arrêtée à ma hauteur, a posé sa main gracile sur mon avant-bras et a glissé à mon oreille les mots que je n'osais plus attendre de personne.

Vous êtes magnifique !

   Puis elle s'est éclipsée sur un clin d'œil.

Merci...

2 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout
bottom of page