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San Myshuno, mars 2014



Et si je les envoyais tous balader ? Si je partais à l’autre bout du monde sans me retourner ? Qu’est-ce qu’ils croient ? Que je suis corvéable à merci ? Que je n’existe que pour qu’ils puissent exister à leur guise?

« Solène, il me faut le dossier Hunter en trois exemplaires sur mon bureau, pour dix-neuf heures dernier carat ! Ah! et n’oubliez pas d’appeler ma femme pour lui dire que je serai en retard ce soir. Et si jamais Desmoulins daigne enfin se manifester, vous lui faites un topo complet et vous me l’envoyez au 3e étage.»


(…)

« Mamaaaaan !!! il me faut une pochette de papier calque pour le cours de maths de demain ! C’est super urgent ! J’ai une éval’ en géométrie. Pis n’oublie pas qu’il faut que tu me déposes chez Célia demain soir à neuf heures. Y’aura Jules, Mariette, Gus et toute la bande. Ça va être troooooop géniaaaaaal !»

(…)

« Salut frangine ! Dis, je dois partir en déplacement à Oasis Spring vendredi avec mon collègue. Tu sais, celui qui est super canon. Il faudrait que tu me récupères les enfants à l’école. Leur père refuse d’y aller sous prétexte que c’est pas sa semaine. Non mais j’te jure, attends un peu qu’il ait besoin de moi quand ce sera sa semaine, il ne va rien lui manquer à celui-là. Et si tu pouvais les faire manger, parce que je risque de pas rentrer tôt. Merci t’es un amour. À charge de revanche hein, n’hésite pas si t’as besoin. »

(…)

« Chérie, il me faut le contrat d’assurance et le compte-rendu d’expertise pour l’avocat. Tu peux me trouver ça s’il te plaît ? »

(…)

Eh bien non, il ne me plaît pas. Il ne me plaît plus d’être devenue celle sur qui on compte aveuglément, sans relâche. Il ne me plaît plus de m’oublier moi-même, de me laisser engloutir par cette avalanche d’exigences. Certains soirs, je me rêve dans une autre vie, loin de cette ingratitude qui me revient en pleine face.

« Désolé Solène, mais vous accorder votre journée en pleine négociation du contrat Bullit serait une pure hérésie. »

(…)

« Désolée, j’ai pas l’temps là maman, mais promis j’te débarrasse la table demain. »

(…)

« Désolée frangine, je vais pas pouvoir. Tu sais bien que le samedi après-midi j’ai mon cours de Krav-Maga. Une prochaine fois, promis ! Biz-biz ma belle ! »

(…)

« Désolé chérie, je ne vais pas avoir le temps d’aller récupérer ta voiture au garage ce soir. Benoît m’a dégoté une place pour le match de l’équipe de Windenburg. Une opportunité pareille ça ne se refuse pas. »

Si, mon chéri, ça se refuse… je passe ma vie à refuser des occasions de ne penser qu’à moi.

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