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Windenburg, juillet 1942




   Ils ont emmené Sarah. Hier.

   J’ai d’abord entendu le bruit des bottes dans l’escalier. Puis j’ai vu surgir sur le palier les grandes formes noires. On aurait dit de sinistres corbeaux. J’ai vu l’éclat métallique des armes et la lueur féroce des regards.

Faites-le dégager ! 

   Des talons ont claqué. Un corbeau a fondu sur moi et, d’une poigne ferme, m’a collé contre la porte de notre appartement.

Rentre chez toi gamin !

   Maman a ouvert la porte à la volée. Elle a jeté un regard affolé au corbeau, m’a attrapé par le bras et m’a tiré sans ménagement à l’intérieur. Quand la porte s’est refermée derrière nous, j’ai entendu le heurtoir s’abattre lourdement sur la porte d’en face. Sur la porte de Sarah.

   Sans dire un mot, sans faire de bruit, maman s’est accroupie devant moi et m’a fait signe de me taire, puis elle s’est précipitée vers le téléphone au bout du couloir. Je l’ai suivie des yeux sans broncher pendant que derrière le panneau de bois les corbeaux croassaient.

  Et puis j’ai entendu la clameur des cris enragés et la plainte sourde des pleurs étouffés. J’ai voulu rouvrir la porte mais maman m’a retenu par le bras. Elle pleurait.

Non ! Non Antoine. On ne peut rien faire.

  Elle m’a emprisonné dans ses bras, a enfoui mon visage contre sa poitrine et nous avons attendu en tremblant que le tumulte s’éloigne.

  Et aujourd’hui Sarah n’est plus là. Aujourd’hui je voudrais comprendre pourquoi Sarah et pas moi. Pourquoi son appartement et pas le nôtre. Maman m’a dit que nous ne sommes que des pions sur un grand échiquier et que nous avons la chance d’être sur la bonne case. Je voudrais comprendre mais je n’y arrive pas…

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